Pour qu’un jour tous puissent se la couler douce

07/05/2022

Un des plus vieux skatepark de France devrait être rénové cette année. Et il se trouve en Moselle, à Stiring-Wendel. Dans le cadre de la réhabilitation de la zone de loisirs qui le borde, « la coulée verte », 200 000 euros sont prévus pour ce projet dans lequel les rideurs sont invités à prendre part. Un évènement a été organisé dimanche 1er mai à cette occasion, durant lequel nous avons pu découvrir les futurs plans et taper la discute avec les plus vieux skateurs locaux ! Intemporel. 

© Alexander Karle
© Alexander Karle

L'ordinateur portable de Jean Marc s'allume. Les rideurs s'attroupent comme des fourmis sur la table de pique-nique qui fait office de bureau. Personne ne veut louper la visite guidée en 3D des 1,8 hectares du futur site de la « coulée verte ». Pas pour le prochain boulodrome, parcours de santé, jeu aquatique ni les autres travaux qui vont durer plus d'un an et demi, mais plutôt pour son skatepark qui sera lui aussi refait à neuf. Celui-ci s'apprête à être dévoilé en avant-première. Les yeux des riders sont aux aguets, surtout ceux de Théo. Ce jeune lycéen en sciences technologiques de 16 ans tient tellement à ce projet qu'il a organisé une « jam » (comprenez journée dédiée à la glisse, avec une compétition en mode très festif) dimanche dernier pour montrer aux élus que nos chères disciplines attirent du monde. Et qu'elles risquent bien d'attirer encore plus de public prochainement, notamment des jeunes pratiquants qui étaient parfois un peu frileux de se frotter aux rugosités de la structure existante. Normal, elle date des années 1970.                                                              

 Théo, Bunny Hop - © Laura Geraci
Théo, Bunny Hop - © Laura Geraci

Je suis déjà surpris de savoir que ce dinosaure de béton existe encore en 2022, loin d'avoir été décimé pour laisser la place à quelconques projets immobiliers farfelus, mais je tombe vraiment des nues lorsque qu'on me dit qu'il s'agit en vérité d'un skatepark. Si l'endroit est mythique en plus d'être historique, c'est qu'il n'a strictement rien à voir avec tout ce qui se construit aujourd'hui. D'une longueur de 92 mètres et de 8 mètres de large, il s'agit concrètement d'un snake run, une sorte de slaloms aux virages relevés, démarrant sur une colline et finissant dans un bowl.  

"La course aux serpents" - © Marc Dubois
"La course aux serpents" - © Marc Dubois

La raison d'une telle réalisation ? les besoins de l'époque. Alors que le skateboard arrive en France après sa naissance aux states au début des 50's, le style de ride se rapproche davantage du surf. Bordel, un des rares bijoux skatable que la Californie pourrait nous envier. A tel point que la municipalité en est pleinement consciente, et que Jean Marc, le concepteur-paysagiste à qui elle a confié ce projet de rénovation conséquent (2,7 millions d'euros au total, 200000 euros « sous réserve » pour le skatepark) tient à consulter les pratiquants pour ne pas faire n'importe quoi. « Honoré » de chapeauter ce projet, il avoue lui-même que ce n'est pas son domaine et attend nos retours avec impatience. Ça tombe bien, sur l'écran commencent à se profiler les premières courbes ...

Théo, les skateurs et les bikers sont rassurés en voyant que la structure restera la même. Oui, l'identité, la philosophie du spot sera respectée. Seul un nouveau revêtement sera appliqué, mais l'idée d'une plate-bande pour s'élancer fait déjà discrètement son chemin. Néanmoins, le pumptrack situé en contrebas ne plaît guère. Il n'y a pas de quoi s'affoler pour autant, car comme l'a dit Jean-Marc entre 2 gorgées de picon juste avant : « rien n'est figé ». En effet, celui qui a taillé ces premières esquisses (un boulot de dingue, 8 ans que le truc est dans les tuyaux !) nous montre simplement les « orientations » de cette transformation d'envergure de ce qui était autrefois une zone de remblais servant à entreposer le charbon extrait de la mine. Avec à ses côtés, les anciennes forges de l'usine où on fabriquait avant 1970 des chemins de fer pour la ligne Paris-Francfort. Ça tombe bien, un allemand vient à présent se joindre au joyeux convoi de riders : « Merci beaucoup, c'est très gentil ce que vous faites » dit dans un français timide ce saarbruckois à notre guide virtuel. Alexander n'est pas une figure inconnue ici. C'est même grâce à lui et à sa bande de pote d'outre-Rhin que la date d'aujourd'hui fait sens pour l'organisation de l'évènement : ça fait 20 ans qu'ils viennent « au ditch » tous les 1er mai. « C'est un jour de tradition mais aussi de protestation en Allemagne, on a décidé de tourner ça positivement » m'informe l'artiste de 44 ans.

La gueule qu'aurait le spot sans Alexander et son équipe ...
La gueule qu'aurait le spot sans Alexander et son équipe ...
© Alexander Karle, un des doyens du spot.
© Alexander Karle, un des doyens du spot.

On descend ensemble la pente du ditch, remontant à rebrousse-poil la bête de goudron craquelé de toutes parts. « on colmate un peu tous les ans les fissures, en plus de passer un coup de balai sur le spot » explique le concierge d'un jour en pointant du doigt chaque trait de ciment lézardant les courbes, nous faisant presque remonter le temps, pendant que certains l'arrêtent, suspendus dans les airs. Dans le joyeux bordel que font à présent les Dinlow sur leurs vélos d'enfants en s'envolant et beuglant de toutes parts, on sent revivre ce skatepark qui a l'air de sommeiller depuis des millénaires sur sa butte à l'abri des regards. Seuls quelques appartements en contrebas l'espionnent de leurs roses pâles. Même un œil profane pourrait comprendre que cet orphelin de ciment est délaissé depuis trop d'années. Alexander pousse le mystère à son paroxysme : « je ne sais pas qui a construit cette extension », dit-il en désignant cette fois un bout de surface verticale cimentée à une des courbes, peinte par ses soins aux couleurs de l'Ukraine.

Ce sont les locaux, souvent des allemands qui viennent de la ville voisine de Saarbrücken, qui se chargent de l'entretien du spot. Balayage, jardinage et maçonnerie sont au programme. © Alex Karle

Pascal Solich, FS tailslide                     © Julian Straß
Pascal Solich, FS tailslide © Julian Straß

Alexander me présente à un autre allemand, Oliver, 46 ans au compteur et issu d'une fratrie de 3 skateurs dont l'un s'attaque en ce moment même à la crête de la vague principale à gros coups de BS tailslide. En attendant le hammer du frangin, sa punchline à lui ne tardera pas : « c'est l'histoire qui compte, pas la qualité du spot ». Avant que ce skatepark ne prenne des rides, il en était déjà amoureux et s'y rendait régulièrement dans sa jeunesse. Malgré l'omniprésence de ces aînés du skate, il y a aussi des adolescents. C'est le cas d'Emma, 15 ans, qui skate une fois par semaine mais exclusivement à la coulée verte, et ce depuis 4 ans. Le plupart du temps, elle est seule. « Je veux que ça devienne un endroit un peu plus important » me glisse-t-elle. C'est la dernière personne à qui je demande la date de création du skatepark. Elle appelle sa mère, lui demande, raccroche et me répond : « entre 1979 et 1981 ». Presque la même période avancée par le maire (« entre 1978 et 1985 »), mais bien différente de celle évoquée par le responsable des services des sports (« 1974 ») et Alexander (« 1972 »).

Seule la réalité d'un autre chiffre m'importe désormais, le numéro de Jean-Marc, le concepteur-paysagiste. C'est grâce à lui que les prochaines étapes, les plus délicates selon lui, vont s'enchaîner : la concertation pour l'avenir de ce lieu mythique avant sa validation définitive auprès de la municipalité de Stiring-Wendel et l'approbation administrative de l'ABF (Architecte des Bâtiments de France) pour toucher à ce site protégé (mais le skatepark n'en fait pas parti, ouf). Ensuite aura lieu l'allotissement et les appels d'offre, la réponse des entreprises, et tutti quanti ... mais ça, c'est une autre histoire, qui devrait prendre fin sur le calendrier cet automne. Je remets le calepin noirci où figurent les 10 chiffres au fond de ma poche et me traine jusque chez moi, aussi fatigué que le spot, me demandant déjà quand je serais de retour pour sa prochaine inauguration.                                                   

Mog